Cahiers de Philosphie # 1


Jeudi 20 Octobre, 19h, villa des arts de Rabat.Dans une salle ou la moyenne d’âge dépasserait aisément les 40 ans,  3 jeunes hommes, la vingtaine, sont assis, deuxième rang. Dans cette atmosphère d’élite intellectuelle, ils se sentent étrangers, dépaysés, ignares. Ce sont des ‘‘scientifiques’’, et sous ces cieux, ils ne sont pas à leur place. Bof, je ne vais pas attendre de n’avoir plus de cheveux ou de commencer à rire de blagues d’intello pour assister. Silence, le Philosophe est là. La conférence à commencé. Ils écoutent avec une religieuse attention ses paroles. Lui, c’est Ali Benmakhlouf, un philosophe marocain habitant en France ou il exerce, entre autres, le métier de Professeur de philosophie et de logique à la fameuse Université Sophia Antipolis. En collaboration avec la fondation ONA, il anime, depuis trois ans déjà, une série de conférences à la villa des arts de Rabat et de Casablanca. A l’ordre du jour, le Cerveau et la pensée. Cela importe peu ici. Nous ne sommes pas venus pour un thème intéressant, ni pour connaître quelque chose de nouveau. Nous sommes venus pour penser. [Mieux qu’informer, il vaut mieux donner à réfléchir…], dixit Benmakhlouf.Comme tout philosophe qui se respecte, et fidèle à son rejet d’une conviction absolue en toute chose terrestre, Mr Benmakhlouf  suggère au lieu d’affirmer, et étaye ses dires par un richissime arsenal d’arguments, allant de citations d’illustres personnalités à la sagesse avérée, à des faits d’actualité exempts de toute abstraction(qui est le propre de la philosophie), en passant par d’amusantes anecdotes personnelles révélatrices. Calepin et stylo à la main, je note. La sagesse est dispensée à un débit si haut que mon écriture est aussi scripturale que celle d’un médecin.

Aujourd’hui, le sujet est à la lisière sud de la philosophie, aux frontières du non-abstrait, et l’on débat de l’aspect éthique des avancées prodigieuses de la neuroscience, à l’image de l’IRM fonctionnelle qui consiste en la ‘‘lecture’’ de la pensée du cerveau humain à partir des débits sanguins de ses différentes zones. Quand celle-ci sert de preuve pour induire des sentences de perpétuité dans les tribunaux, quand on prétend, par un simplisme presque niais, savoir par son biais à quoi un sujet cogite en un moment donné, quand on avilit l’idée, ce qu’il y’a de plus abstrait, de plus sacré, toutes formes d’existence terrestres confondues, au point de la mettre à pied d’égalité avec n’importe quelle vulgaire fonction concupiscente du corps humain, il y’a franchement de quoi s’indigner, comme quoi science sans conscience n’est jamais que ruine de l’âme. Le cerveau n’est plus, à priori, ce sanctuaire défendu, inviolable d’antan et la pensée se trouve désormais réduite à son aspect le plus vil, une simple interaction matérielle entre neurones. Le philosophe  questionne cette vision on ne peut plus tronquée, qui s’aventure à ‘‘remplir l’image d’une intention’’ automatique, dénudant l’homme de son libre arbitre, en citant un autre monsieur : le journaliste français Jean Dominique Bauby, dont l’expérience de vie prouvera que la pensée survit à la matière : Atteint du locked-in Syndrom , une paralysie totale qui dans son cas n’épargnera que la paupière gauche, il réussira, avec la précieuse aide de son assistante, la prouesse de développer un nouvel alphabet, basé sur les fréquences d’utilisation des lettres, et de s’en servir pour écrire un livre tout entier : Le scaphandre et le papillon, et tous comprendront bien sûr la connotation de ces termes.

Un téléphone sonne. Mais bien sûr, on est au Maroc. Le monsieur répond. Mais bien sûr, on est toujours au Maroc. On continue. Au bout des 45 minutes que dure l’exposé, ma tête sent le roussi, tant énorme avait été l’effort déployé pour suivre. C’est que tout ce que prononce le Philosophe est immensément sage, immensément profond, immensément vrai. Que de fois ne me suis-je réveillé d’un presque songe ou m’avait plongée telle idée ou telle assertion, emporté par les multiples voies, les multiples possibilités de ce qui s’avance ici.

Place au dessert, la meilleure partie : les questions. Outre nos trois têtes incultes, la salle est comble d’illustres intellects, de penseurs qui interrogent Mr Benmakhlouf sur les postulats et les idées traitées au fil de la conférence. Et l’on ne peut que s’émerveiller de l’artifice de ses réponses, à la fois précises, opportunes, et on ne peut plus convaincantes.

Toute chose a une fin, surtout quand c’est exquis. Le  philosophe a parlé. Il est maintenant temps de prendre congé de ces messieurs. Nous quittons la salle avec l’amertume des plaisirs inachevés, avec au cœur la rare satisfaction d’avoir vécu quelque chose de beau, de sublime. Le philosophe reviendra, Mercredi prochain, pour continuer le cycle des trois conférences autour du thème des neurosciences. Il importe peu, nous serons la, calepin et stylo à la main, prêts à nous abreuver, certains de boire à satiété.

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