« Je suis donc venu au monde un peu en retard, avec, certes, ma muse de poète et ma musette de guerrier, mais je n’ai plus ni royaume ni épopée a glaner sauf, peut être, le refus viscéral de me complaire dans l’insignifiance à laquelle le destin s’applique à m’astreindre... » ainsi s’exprime Yasmina Khadra, de son vrai nom Mohammed Moulessehoul, dans son œuvre L’Ecrivain, une sorte de roman autobiographique où il dépeint le voyage initiatique qui fera ses débuts de jeune plume, sous les feux de la censure qui tirent tous azimuts, l’obligeant plus tard à emprunter le nom de sa femme pour publier.
Ce passage illustre le combat sans merci que livrera le petit Mohammed dans l’école militaire des cadets de la révolution, un combat contre tout, où tous les éléments lui seront hostiles. Depuis les chenapans de son école où son verbe lui fera beaucoup d’ennemis au déchirement que connaîtra sa désormais lointaine maison, que les sévices patriarcaux et leurs sautes d’humeur finiront par vider, martyrisant par ce, sa mère et attisant en lui une colère inextinguible contre son père.
Dans son dernier roman, l’équation africaine, ce natif du Sahara algérien accuse, à première vue, un rebut de qualité par rapport à son œuvre. C’est une histoire anodine : un héros malmené par le sort et les malheurs ô combien friands de compagnie, qui subit d’affreux périples en Afrique où le trépas est plus proche que l’ombre, mais qui bien sûr survivra et retrouvera l’amour comme le plus ancien des clichés. Parce que nos âmes sensibles ne peuvent tolérer les dénouements tristes, et que la fiction se doit d’alléger la cruauté du vécu, de nourrir l’illusion des fins heureuses.
Mais au-delà de ça, au-delà du récit, il y’a la morale. L’équation africaine est une leçon de vie, où l’auteur s’érige en expert de la condition humaine et l’analyse dans ses plus lointains retranchements, ses secrets les plus reclus. Moult se reconnaîtront dans cette œuvre, pas dans son aspect concret, (qu’à Dieu ne plaise) mais dans les émotions, les sentiments face à l’adversité dépeints avec une véracité absurde : ‘‘ Ma douleur était trop personnelle pour être partagée, elle me rendait insensible aux témoignages de sympathie, à ces usages qui ne reposent sur rien de concret. C’est un univers parallèle, le chagrin, un monde abominable ou les mots les plus doux, les gestes les plus nobles s’avèrent dérisoires, inappropriés, gauches, mortels d’inanité.’’
Yasmina Khadra, cet africain de souche, investira, le temps d’un roman, le rôle d’un riche docteur européen, qui, croyant être au paroxysme de la douleur lorsqu’il constate son veuvage, n’est nullement au bout des ses peines, puisque, voulant noyer son chagrin au large, il sera pris en otage et subira les pires déconvenues sur le sol africain. N’est ce pas là la vie, arborant son plus affreux masque qu’elle semble chérir, et qui assène coup sur coup le chagrin à petites doses. N’est ce pas là le déni de cet universel mensonge choisi qui prétend que les malheurs n’arrivent qu’aux autres. N’est ce pas là l’incarnation du stigmate africain à la peau inexorablement dure, qui veut que l’Afrique ne soit faite que de pirates, de hors –la- loi, de bêtes de somme aux épaisses œillères. Le continent ne pouvait trouver de pire chantre que la personne de Kurt Haussmann, notre docteur, qui fera sa connaissance en flirtant avec la mort lors de l’abordage de leur embarcation, en lapant sa dérisoire ration les mains ligotées tel un chien, en essuyant les ires de colosses poètes/pirates qui s’acharnent sur lui.
Pour lui, l’Afrique est désormais ‘‘Un monde sisyphin livré à la lâcheté des hommes et aux ravages des épidémies, avec ses supplices, ses escalades et ses guet-apens, et ses contingents de morts vivants nomadisant à travers mille tourments, l’espoir crucifié sur le front et l’échine croulante sous le poids d’une malédiction qui ne décline ni ses codes ni son nom . ‘’ Mais l’Afrique lui apprendra la vie, la vraie, dénuée des illusions, des vicissitudes immondes des routinières journées de Frankfurt, dans le luxueux cabinet et la luxueuse villa, où celle-ci est reléguée au vil état de l’existence vide de sens. Elle lui apprend que c’est vrai, la misère africaine qui se relate dans les JT , et que s’en laver les mains comme tous le font chaque jour que Dieu fait, porte le coup de grâce à cette prétendue supériorité humaine de l’homme blanc, nanti, suprême conviction que le héros, fortement endoctriné au départ, abandonnera puisque lui-même commettra le meurtre, auquel il s’estimait ‘‘ culturellement étranger’’. Tous sont pareils, sauf qu’eux sont nés du mauvais côté de la Méditerranée. L’Afrique, il y retournera, parce qu’il y aura goûté au zeste de la vie version princeps, il y aura trouvé l’amour, le salut, la délivrance . Vaincre La douleur par la douleur, remède miracle que seule la vie peut administrer.