Les raisins de la colère


Long été oisif, longues journées à combler tout en respectant son jeûne et en attendant le muezzin. Le sacerdoce, quoi. On a beau se retourner sur son lit, dormir à des heures impossibles, 15h  vous trouve réveillé. Rien de mieux qu’un bon livre pour dissiper le temps. Surtout si on a la veine de tomber sur ce livre, Les Raisins de la Colère, de l’américain John Steinbeck. Prix Nobel et Pulitzer en poche, ce californien a de quoi vous en mettre plein les yeux. C’est un livre qui, tant la description y est savante et pertinente, tant le réalisme est on ne peut plus accru, rend les émotions palpables, les rires et les larmes partagés. C’est un livre qui multiplie ces moments où, laissant de côté le livre, vous sombrez dans une douce cogitation, un petit sourire aux lèvres.

Tom Joad, héros malgré lui, est le Bouazizi d’Oklahoma. Vestige du mal-être, c’est  le symbole de l’homme simple, prolétaire, que la crise, la faim, la corruption du gouvernement et la « Hogra » pousseront à penser, à agir, à la révolte, à la colère. Ma, sa mère, est le meilleur hommage jamais fait à la femme, la mère, l’épouse qui s’érige en socle de la famille, que les consécutives marées n’arriveront pas à ébranler, et qui fait preuve  d’une résistance à toute épreuve, quand des ciels trop peu cléments viennent à surpasser la bravoure des mâles. C’est le printemps américain d’antan, ou les métayers sont forcés de rejoindre un exode de la faim, où tout s’opposera à leur survie, depuis le manger rarissime jusqu’aux rifles de leurs frères indésireux de partager une richesse abondante. Ce que l’on apprécie le plus, c’est ce refus du raffinement, de la morale et de la sagesse dispensés à coups de phrases joliment façonnées, que l’on retrouve après dans les statuts des Facebookers, et qui ôtent à la douleur, à la misère exprimées toute leur réalité, tout leur cru.

Dans Les Raisins de la Colère, il n’y a pas de citations. Il y a des moments; des moments décrits si intensément qu’ils touchent  mieux que ne le ferait aucun assortiment de mots figés. Rien ne parle mieux qu’une larme, un regard, quand ils sont savamment traduits. C’est que, comme disait Balzac, « Rien dans les langages humains, aucune traduction de la pensée faite à l’aide des couleurs, des marbres, des mots, ou des sons, ne saurait rendre le nerf, la vérité, le fini, la soudaineté du sentiment dans l’âme. » Dans la version princeps (anglais), on croît ne pas lire l’anglais, pas celui de l’English in Life en tout cas. Pour le parler, Steinbeck use du langage local, un anglais prolétaire aussi qui , quoique agaçant par moments, appose au récit le sceau du vrai, de la réalité crue, sans futiles ornements. Et la fin, quelle fin ! A la fois mystérieuse et merveilleuse, qui vous laisse à votre soif tout en vous abreuvant de délices inconnus…

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