Suicide, et autres…


Bouazizi se suicida, la Tunisie se libéra,  et Bouazizi fut adulé, élevé au rang de  héros, de martyr, par un acte jadis honni et récrié, toutes croyances confondues. Bouazizi, l’inconnu soûlard jadis méprisé par ses compatriotes inspire désormais de la vénération à toute une génération.  Elle lui érige des statues, baptise des lieux à son nom…

Il s’est donné la mort.

Une gloire issue d’un drame, d’un sacrilège rend elle  donc légitime celui-ci ?

Le suicide, d’antan dissimulé par des accidents ou autres causes létales pour éviter la honte, est maintenant affiché, voire même applaudi. Ce n’est donc plus un tabou, c’est devenu une option, limite légitime moyennant un degré suffisant de misère, de souffrance. Et l’on se demande : est-il possible, sans se rendre coupable de cruauté, d’inhumanité, de juger les perpétrateurs de ces crimes, et que ce jugement soit autre que plaignante approbation ?
Nass el Ghiwane chantaient : ‘‘ lli gal del3sida barda, ydir yeddou fiha’’,  et Yasmina khadra de renchérir : ‘‘[…]douleur était trop personnelle pour être partagée, elle […] rendait insensible  aux témoignages de sympathie, à ces usages qui ne reposent sur rien de concret. C’est  un univers parallèle, le chagrin, un monde abominable ou les mots les plus doux, les gestes les plus nobles s’avèrent dérisoires, inappropriés, gauches, mortels d’inanité.’’ Il n’est donc pas, d’une part, viable d’émettre un jugement un tant soit peu exact sur une situation,  quelque commune qu’elle soit devenue malgré son excentricité, à moins de l’avoir vécue. Cela dit, telle chose n’est physiquement pas possible. D’autre part, le serait-elle, dans un monde ou la réincarnation serait possible, la subjectivité compromettrait grandement l’analyse qui s’en ferait. Aussi, je demande pardon, d’avance, à ceux que ce texte offenserait, qui estimeraient qu’il ne se saurait en débattre ainsi, en s’affranchissant du dilemme qui lui est propre,  et en dérogeant aux préceptes de la bienséance. Je m’investis donc, par les pouvoirs que me confèrent les défenseurs de la libre expression dont vous êtes probablement, du droit de récrier ce geste, au risque d’entacher les mémoires des défunts.

Sous d’autres angles

D’une part , mettre fin à ses jours, dans le dessein de servir une cause que l’on estime supérieure revient, hormis  le fait de s’approprier quelque chose qui n’est pas vraiment nôtre, (les âmes appartenant à leur Créateur en premier lieu) , à avoir une vision utilitariste du monde et de ses choses. Quand Bouazizi s’est suicidé, il m’est avis qu’il n’avait nullement comme vœu d’œuvrer pour l’intérêt général, d’amorcer quelque chose d’aussi grandiose que le printemps arabe qui libérerait des nations entières de leurs bourreaux. C’est, au mieux, un acte de lâcheté qui, par un effet papillon inouï, s’est élevé à des proportions démesurées, délivrant le peuple, et c’est  tant mieux. Le présumé symbole n’est,  à bien y voir, que cette goutte qui a fait déborder le vase. En tant que telle, elle n’a pas de valeur particulière intrinsèque, si ce n’est d’avoir été choisie, par les inextricables voies du vouloir divin, pour se présenter au vase au moment idoine. En fait, je me demande ce qui se serait passé si c’était un policier et non une policière qui avait giflé Bouazizi. Cela aurait pu changer la donne. Certes, le sentiment de ‘‘Hogra’’ est légitime, au vu de la terrible injusitce qui sévissait en Tunisie, mais de là se tuer, on a vu plus courageux. C’est une chose de célébrer l’issue, c’en est une autre de célébrer l’acte.

Aussi, s’il faut mourir, que cela soit sur le champ de bataille, la mort aurait du sens, du mérite, ne serait-ce que celui d’égratigner l’ ennemi, à la différence de ses visages. Nous vivons, chers amis, dans un  monde ou la mort ne dérange plus, n’émeut plus quand elle ne nous concerne pas directement. Au mieux, elle induit un message sympahisant afffiché sur un réseau social, un sit-in ou moult se prennent en photo, riant aux éclats. La cause est chantée au lieu d’être défendue, parce que le militantisme est devenu, pour beaucoup, une mode plus qu’un engagement. Nass el Ghiwane disaient « Ghannina l cha3b bash yfhemna, Hezz derbouka w tbe3na » .
Et donc, en mourant ainsi, dans ce contexte,  d’une mort insensée, on donne le droit au quidam, critique invétéré, de comparer  le suicidaire à ces rappeurs qui se suicident pour augmenter leur renom, leurs vies ne valant pas grand chose à leurs yeux, et cela attriste d’ainsi voir démystifier ce geste, alors qu’on lui avait peut être voué des intentions nobles, selon un entendement biaisé.

Biaisé parce que Bouazizi, aurait-il eu ce dessein, celui de servir la masse ainsi, il aurait été dans l’erreur. Sacrifier sa vie, dans une logique utilitariste ou la masse prévaut à l’individu, ou elle l’écrase et le réduit au piètre état d’esclave de ses attentes, aussi capricieuses qu’elles soient, n’a rien de noble ni de beau. Ici réside l’une des raisons  du mal être de l’homme moderne : il s’assujettit à l’oppression du nombre, de ses vœux, et se fait à son image, en quête d’une reconnaissance impossible à satisfaire, à la longue (Fukuyama). Le bien-être de la majorité se trouve invalidé, sali, s’il doit se faire au détriment de celui de la minorité, des personnes. Amina, mariée à son violeur pour préserver son honneur, ne devait pas souffrir l’injonction de la société aux yeux de laquelle cet honneur devait être sauf. La société ne doit pas s’octroyer ce droit d’évaluer l’honneur, et celui-ci doit être, à priori, impassible de toute atteinte, puisque inhérent à son humanité, et non susceptible de plus ou de moins.

Et quand il n’y a pas de cause…

La solitude

Un autre aspect du problème est que l’homme moderne est, comme disait Balzac : ‘‘seul au milieu du plus affreux désert, un désert pavé, un désert animé, pensant, vivant, où tout vous est bien plus qu’ennemi, indifférent ! ’’ . Le cheminement du monde a  donc favorisé l’individualisme et, esseulé quoique en société, l’homme vacille vite, et la dépression n’est jamais loin. Le chagrin, partagé, se trouve amoindri, abaissé d’un ton, et donc plus vivable. Sauf qu’aujourd’hui, le monde est passé du  »Tous pour un et un pour tous » vers le  » chacun pour soi, Dieu pour tous » , et encore sommes nous heureux que dans nos contrées, nous croyons toujours, pour la plupart, en Dieu, alors que d’autres, n’adhérant pas à cette croyance, se retrouvent avec le  » Chacun pour soi, chacun pour soi », qui ne laisse entrevoir aucune issue de secours ,  quand la vie s’acharne sur eux et que  rien de terrestre ne semble plus pouvoir les  sortir d’affaire, que l’abîme du désespoir absolu les engloutit.

La spiritualité

Au final, l’humanité aura peut-être évolué en termes de commodité de la vie, mais, humainement, elle bégaie encore. La civilisation, le progrès, censés améliorer la condition humaine, rendre l’individu plus heureux, n’ont fait que l’accoutrer de multiples accessoires à la nécessité non avérée, et dont la petitesse vide cette vie de son essence, de son sens même. Certes, nous ne mourons plus de fièvre, et avons une longévité meilleure, une vie infiniment plus aisée que d’antan mais, d’un autre côté, des adolescents vendent leurs organes pour s’acheter un Ipad. Gangrénée de matérialisme, notre existence s’éloigne à grands pas du spirituel. Aliénés, nous percevons nos vies à travers des prismes tronqués. La vie, comme le diable, se retrouve confinée aux détails, et les choses simples ne satisfont plus. Quand on exige beaucoup, il est facile d’être déçu.
Exit donc la spiritualité dans le monde d’aujourd’hui, et les religions, censées aider à maintenir le cap, sont de plus en plus reléguées au paraître, délaissant l’être synonyme de croyance forte éclairant la voie. Beaucoup de musulmans aujourd’hui, pour ne parler que de ceux-ci, sont perdus entre une pratique chancelante du culte, et la tentation grandissante dans une société ou le vice s’est incrusté, brouillant les pistes du bien et du mal, et mettant à l’épreuve leur foi, et se trouvent mener une vie vide de la spiritualité propre à l’Islam. Dans ce cadre, c’est selon des termes terrestres que l’on évalue sa vie, dans l’ici et maintenant et omettant la grande image, celle d’une existence avec une naissance, une mort, et un au-delà. C’est la prespective de cet au-delà qui s’estompe dans nos têtes, dans nos réflexions et nos actes, et le suicidaire oublie peut être qu’un malheureux sort lui serait réservé, que beaucoup, souffrant de dépression, auraient déja perpétré cet acte si ce n’était cette clause.

et Le danger

Le péril que nous encourons avec cette banalisation est qu’elle rapproche les limites du désespoir, du point ou l’on estime qu’il ne saurait y avoir d’autre issue. Désormais, on y pense plus vite, cela ne relève plus de l’inenvisageable. C’est peut être là le revers de la médaille, de cette médiatisation massive de la souffrance des peuples, des individus dans leurs combats contre l’oppression, contre la mal-vie. Les chiffres sont déja alarmants : Toutes les quarante secondes, quelqu’un se donne la mort,   à travers le monde, et plus de 1100 suicides se font chaque jour que Dieu fait. L’hémorragie doit s’arrêter. Si ce phénomène, dont on ignore l’envergure au Maroc faute de statistiques officielles, venait à continuer sa croisière vertigineuse sans qu’on prenne des mesures drastiques pour l’éponger, il finira par se transférer chez nous, avec son ampleur et toute la présente futilité de ses motifs, par cette incongruité du petit village monde, ou la distance géographique n’empêche plus les moeurs sociales de se faire adopter ailleurs, et ce de moins en moins dans leur aspect mélioratif.  Que Dieu nous préserve !!!

* « lli gal del3sida barda, ydir yeddou fiha« : littéralement : Que celui qui dit que cette  »bouillie » est froide y mette sa main.
* « ghennina l che3b bash yfhemna, hezz derbouka w tbe3na » : littéralement: Nous avons chanté pour le peuple pour qu’il nous comprenne, il a pris la derbouka  (instrument de musique) et nous a suivis.

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