La seule vertu de l’ignorance, c’est la perspective de l’émerveillement : Sous peu, je ne connaissais pas Darwish. Encore moins connaissais-je la magnificence de ses écrits. Il eut fallu un état de ‘‘closure ’’, de ce que les mélomanes appelleraient le ‘‘blues’’ d’une nuit d’insomnie et les recommandations d’un ami pour me le faire découvrir dans toute sa splendeur.
Darwish s’est éteint, cela fait 4 ans au jour le jour, et avec lui s’est éteinte sa voix de ténor qui enflammait les cœurs. Avec lui sont parties ces rimes qui vous font tressaillir au plus profond de votre être, vous donnent envie de prendre les armes, là , maintenant, et aller de ce pas délivrer la Palestine, ne serait-ce que pour embaumer les plaies de Darwish, dont les gémissements, rimés, transcendent l’histoire et l’incorporent, lui donnent forme dans les esprits de générations qui ainsi font connaissance avec la Palestine, leur permettant d’entrer en osmose avec la terre et sa mémoire à travers ses écrits, quoique l’absence géographique.
À 6 ans, il avait déjà entamé le long chemin de l’exil, qui le portera aux quatre points cardinaux, de Moscou à Beyrouth, en passant par Paris, Le Caire et j’en passe. Son exil, disait-il, avait commencé avant l’exil lui-même puisque, revenu vers sa terre, ou plutôt vers un village avoisinant -son village natal ayant été rasé par les bulldozers israéliens- , puis vers Haifa et Ramallah, il se sentait toujours étranger . On est toujours en exil lorsqu’on habite une terre assiégée .
Darwish appartenait à la race des esprits nobles: dans l’adversité, et son pays chaque seconde trituré sans merci par les mains israéliennes, la haine vers les juifs n’a pu trouver chemin vers son cœur . Le gouverneur, qui l’avait incarcéré pour crime de poésie trop nationaliste, était juif. La maîtresse qui lui a appris l’hébreu et avivé son amour de la littérature était juive. Ses compagnons de combat politique dans le parti communiste étaient juifs. La juge qui l’a condamné la première fois était juive. Juive était aussi sa première amante, sa fille auxquelles il voua une tendresse impossible et qui inspireront le fameux poème « Rita et le fusil » .Darwish n’avait donc pas de vision monolithique ou stéréotypée des juifs, il avait de la grandeur dans sa douleur et chérissait son ennemi. L’ aptitude à coexister, dans la paix, était toujours présente chez lui, disait-il, et le problème n’était que d’ordre politique.
Pour Darwish, la poésie, l’écriture n’étaient pas une simple occupation, c’était un mode de vie. Il vous rappelle ces illustres poètes arabes mythiques, de la gent d’Al mutanabbi, Abou el Alaa el Maarri et autres, dont toute la parole ou presque était rimes, qui semblaient vivre dans une dimension propre à eux ou tout est poésie, ou tout est métaphore et symbole. L’écriture était pour lui un rituel secret, autour duquel il développait une personnalité solitaire, intimidante, adulée, mais qui se transfigure au contact de son public qu’il subjuguait a chaque fois, auquel il arrachait des cris d’émerveillement a chaque fois, et qu’il chauffait à blanc à coup de rimes lancinantes, a chaque fois .
Dans ses poèmes, Darwish chantera tout: l’amour, la nature,l’homme,la vie mais surtout la cause de sa patrie, la Palestine, et de son identité, arabe. Lors de la vérification d’identité pour son incarcération, il répondit à l’agent israélien, en rime bien sûr comme il se doit : سجل أنا عربي . Les poèmes phares de son « book » correspondent aux péripéties de sa vie qu’ils ponctueront, chacun ayant une histoire derrière. Son œuvre, entre poésie (20 recueils), prose (7 livres), et publications journalistiques, sera publiée dans pas moins de vingt-deux langues. Les meilleures chanteurs, arabes en les personnes de Marcel Khalife, Omayma el Khalil et Majda el Roumi, mais aussi de différents horizons parfois occidentaux, donneront voix a ses poèmes et les chanteront ou les accompagneront comme le trio Joubran qui d’un subtil jeu de Oud ont donné un merveilleux fond musical aux vers de Darwish .Cela en dit long sur la portée internationale de son verbe, avec sa force et son panache, qui lui vaudra le respect et l’engouement de tous, jusqu’aux ennemis israéliens qui ont failli faire étudier ses poèmes dans leurs écoles, mais aussi une vie tumultueuse, empreinte d’instabilité constante car toujours en voyage, d’emprisonnements répétitifs, et de solitude. Il a roulé sa bosse partout, militant par sa plume, preux ambassadeur de la cause nationale qu’il défendra tant qu’il respirera.
Il rendra l’âme a Houston, aux États Unis, suite aux complications d’une opération du coeur. Sa dépouille sera rapatriée pour être enterrée à Ramallah. Il n’aura malheureusement pas vécu pour retrouver la Palestine libre.
Et pour finir, le meilleur hommage que l’on puisse faire à ce glorieux homme, c’est de reprendre l’un de ses vers, avec un iota de pastiche:
على هذه الأرض، ما يستحق الحياة،
رجل فقد الحياة،
قصائد درويش
Voici donc un florilège de quelques unes de ses meilleures poésies, mais je suis sûr qu’une fois épris, vous ne pourrez plus vous en rassasier: