42…


42 morts, une cinquantaine toutes routes comprises, en une journée. Et pourtant, le Maroc n’est pas en guerre, sauf peut être contre lui-même, entre ses entrailles. On a crié au crime, on a crié au scandale, on a scandé tous les slogans que l’on a pu, on a changé des photos de profil, on a insulté tous et personne, et après… rien . Le lendemain, les routes ont encore fait des morts, 8 au moins : Pas assez pour aviver le tumulte, pas assez pour chatouiller les consciences, puisque, comme la plus vile substance, le quidam  marocain n’a de valeur, que ce soit aux yeux de son gouvernement ou de ses compatriotes, que dans la quantité, et si ce n’est pas assez pour souiller l’hypothétique belle image du royaume à l’étranger, – qui n’existe que chez les touristes en mal de dunes et chameaux, et corrélée à un besoin de dépaysement, de retour vers la nature, puisque nous sommes encore à l’âge de pierre, pour beaucoup d’entre eux-, s’ils ne sont pas légion, alors ce n’est pas grave. On distribue de l’argent, des condoléances pour les convenances, deux ou trois discours, deux ou trois promesses … et on passe à autre chose.  Les consciences n’en seront pas affectées, on continuera de se livrer aux pires folies sur les routes, à doubler par sixaine dans des virages sans visibilité, à faire des courses de vitesse sur les routes alors qu’on a cinquante passagers à bord, à ne faire de contrôle, lucrativité oblige, que lorsque le car tombe en panne la nuit dans quelque ravin…

Parce que selon l’entendement marocain, le malheur frappe toujours à la porte des autres, et quand il frappe à la notre, on accuse la providence, le mauvais œil. Quand les 42 sont tombés, on a opté pour la solution facile : blâmer la route (alors que tous la connaissent avant de s’y engager), blâmer le gouvernement. Parce que le citoyen est de la confrérie des anges et que l’autre est toujours fautif. On n’a pas songé que le conducteur n’avait pas vérifié ses freins avant d’entamer le voyage, que l’autocar transportait onze personnes en plus de la charge réglementaire, qu’il est passé par moult barrages policiers avant le fâcheux accident. Et j’ose à peine utiliser le terme accident. Non, on a omis tout cela et préféré se tourner vers le gouvernement qui est devenu notre souffre douleur sur lequel on accroche arbitrairement tout nos péchés, changer de sujet pour prêcher l’arrêt d’autres projets, déviant de la question principale : Qu’est ce que cela implique pour tous ? De la responsabilité, de l’engagement, de l’auto-critique… Mahmoud darwish disait :

سنصيرُ شعباً، إن أَردنا، حين نعلم أَننا لسنا ملائكةً، و أَنَّ الشرَّ ليس من اختصاص الآخرينْ *

Oui, nous sommes tous, quelque part, les meurtriers de ces 42, et des 4000 qu’engrangent nos routes annuellement, en participant au chaos général qui a rendu possible la mascarade entraînant leur mort. Dans d’autres contrées, ou les accidents sévissent moins, la population n’est pas faite de saints et ils n’ont pas de meilleurs khmissas que nous. Ils ont peur, ils ont des lois qu’ils respectent.Point.
Sauf que la meilleure législation ne saurait contrecarrer un peuple corrompu. Nous avons pris l’habitude de jeter la balle au camp du corps policier, mais ne nous leurrons plus. Personne ne vous astreint, sans autre issue possible,  à donner un pot-de-vin ou appeler un haut-placé pour se sortir d’une contravention houleuse. Le bon citoyen paierait la contravention, y verrait un investissement en soi qui de facto apprendrait la leçon, une vie épargnée quelque part, une mère qui ne pleure pas son fils.

Ainsi, il faudrait trouver moyen d’extirper cette tradition des agissements du marocain qui en sont atteints jusqu’à la moelle, comme on extirpe une masse d’un vaisseau sanguin, pour permettre le flux normal du sang. Il ne faut plus chercher la consolation de son crime dans la corruption d’autrui, et la Loi, outre cette conjoncture, devrait être souveraine, exempte de nos spéculations: Dura lex, sed lex, que disaient les latins. La perception de cette Loi, qu’il faudrait connaître d’abord, doit se faire dans une logique intrinséque : JE respecte les préceptes de la loi, et cela ME suffit. Peu m’importe que tous paient illégalement le dixième de ce que je paie, pourvu que JE aie la conscience tranquille. Et ainsi, agrandis du sentiment de bien-faire, on pourrait aspirer au sentiment du bien-être, au progrès qu’induiraient des citoyens meilleurs.

Quant au nonchalant laxisme qui prétend que la corruption sur les routes est quelque peu justifiée par les salaires dérisoires et les conditions de travail atténuantes des policiers, elle n’est  même plus  tolérable au vu de la récente amélioration des rémunérations. Au pire, on pourrait demander l’augmentation des salaires, des effectifs pour pallier à ces incongruités qui, il faut l’avouer, rendent le métier de policier parmi les moins attrayants.

Paix soit donc sur les âmes de ces défunts, victimes de la bêtise générale et de la leur. Espérons que leur mort ait au moins le mérite d’ébranler les consciences, d’inciter au questionnement de soi. Apprenons, messieurs, que le malheur n’arrive pas qu’aux autres, et ayons la bienveillance d’épargner les vies des autres, si la notre ne compte pas assez à nos yeux.

* Vers de Mahmoud darwish, signnifiant littéralement :

 »Nous serons un peuple, si nous le voulons, quand nous saurons que nous ne sommes pas des anges,  et que le mal n’est pas la spécialité des autres. »