1- De rouille et d’os
CAP: La France
« Le sentiment que l’homme supporte le plus difficilement, c’est la pitié, surtout quand il la mérite » dixit Balzac. C’est peut être là la pensée qui approche au mieux ce film de Jacques Audiard, riche outre ceci de morales profondes, illustrées par le sort de deux inconnus qui n’ont de commun que leur misère soudaine: la perte des essentialités d’une vie: Pour l’un, l’argent et une mère pour son jeune enfant, ses jambes pour l’autre. La belle Maria, dans la peau de la sulfureuse Marion Cotillard, qui se targuait jadis de ses formes qui ne manquaient pas de séduire, se retrouve cloîtrée à un fauteuil roulant: impuissante devant l’abîme de l’oubli et du délaissement dans lequel elle chavire, elle qui brillait sous les feux de la rampe. Mais alors s’en vient sieur Ali, le cinderella man belge,le pâtre de l’âme en détresse, la brute au grand coeur qui est néammoins le baume qui lui rendra vivable sa nouvelle condition.
Maria avait soif de normalité, et de récupérer son ancien moi, dérobé par les vicissitudes d’un malencontreux hasard. Ali ne la traitera pas en infirme, et lui réapprendra à apprécier sa vie, malgré sa condition.Il la convaincra qu’elle était encore capable de … séduire. De la naîtra la flamme,l’amour, thème de cette édition, qu’il faudrait peut être s’abstenir de relater puisque cela oriente votre séance et ruine votre objectivité. De l’amour, on en ressentira, pour la femme et pour l’enfant, mais on en fera aussi, d’où le caractère un peu »moins de 16 ans » du film. De la beauté, de la sensualité dans ce que plusieurs taxeraient d’obscène. Il aura fallu du courage pour oser cela: l’étreinte du « beau et de la bête » , à la fois écoeurant et sublime, puisque représentation du paroxysme de l’humanisme, de l’acceptation de l’autre, quoique son infirmité. Ce film est ainsi, par ailleurs, un message mondial, unanime, aussi bien aux bien qu’aux mal portants, qu’il n’est pas d’handicap insurmontable, qu’il est possible, par les progrès de la médecine et par une société plus consciencieuse et avertie, de mener une vie normale dans l’adversité des destins contraires.
Cette passion entre Marie et Ali, à priori non réciproque, puisque reclue dans l’ombre de l’amitié et lestée du non-dit, éclatera par un aveu: Ali, émissaire par son nom de l’homme oriental auquel il est si difficile d’arracher un Je T’aime, confessera sa passion, croulant sous le poids de son affliction alors que son fils frôlait le trépas, se noyant presque sous la glace. On y décèle une subtile symbolique, la glaciale froideur de son apparente indifférence, qui allait perdre son affection pour et son fils délaissé et sa nouvelle dulcinée. En brisant cette glace, il délivrait son fils et son coeur.Chacun son handicap. Playing for change l’auront bien dit: No matter who you are, no matter where you go in your life; at some point you’re gonna need somebody, to stand by you…*
A défaut de pouvoir révéler tous les trésors dont recèle cette oeuvre, nous nous contenterons de cet avant-goût. Au revoir donc, et rappelez vous, nous regardons allemand demain… une certaine Barbara
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* Extrait de Stand by me de Playing for change: littéralement: Qui que tu sois, ou que tu ailles dans ta vie; A un certain moment, tu auras besoin de quelqu’un à tes côtés.
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2- Barbara
CAP: L’allemagne
Ce n’est pas un thème, l’amour. C’est l’instigateur, par la variété de ses formes, de toutes les actions humaines. De facto, l’amour est partout. C’est comme quelqu’un qui dirait que le Maroc n’aura pas la CAN, c’est trivial.
Fustigez-moi donc, traitez moi de tous les noms, mais j’ai trouvé Barbara un navet. Je ne comprends peut être rien au cinéma et à l’art en général , mais ce film m’a ennuyé, à mort. Etait-ce voulu ? Cette morne platitude puise-t-elle ses sources dans le souci de peindre l’amour, quand il est aussi fort que silencieux ? Dépourvu ou presque de la fougue, de la passion d’une flamme concupiscente, il laisserait quartier à une affection constante, plus grande, en sourdine. Nul ne peut savoir. Je sais que dans le psyché commun, c’est étranger et c’est dans un festival, donc c’est nécessairement bon, et on n’en doit faire que des éloges. Mais , non que ce soit possible, mais le Théâtre Med V ne me paie pas pour lui faire de la pub.
Après tout, c’est un film allemand, traitant d’une époque ancienne. Comme le veut le cliché, ca vous fait l’effet d’une ancienne machine allemande, ca fonctionne, mais c’est froid et ca grince, ca a besoin d’huile pour moins de friction et plus de piment.
Nina Hoss, Barbara, est médecin à Berlin de l’est, du temps ou il y’avait deux allemagnes, et est refoulée à un petit village anodin parce que soupconnée de quelque trahison; elle y rencontre André, le médecin-chef philanthrope aux allures de christ sauveur, tant dans sa chevelure abondante que dans ses agissements, dans l’atmosphère persécutionniste environnante, qui ne laisse pas un moment de répit à Barbara. Vous connaissez la suite, mais pas tout à fait. Et ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Il y’a plus prioritaire : Il y’a des malades à soigner, des innocents que le régime a mis en détresse. L’amour d’un individu peut attendre, pas l’amour de son prochain. Le premier est banalisé, jusqu’à l’ironie et la moquerie. Barbara, la Barbara de marbre, à la froide apparence et aux froides manières sociales, témoignera de la plus grande chaleur de coeur qui ait jamais été: le sacrifice. Je n’en dis pas plus, sinon ce serait vous spoiler le film.
Je reste néanmoins sur ma position : Ce film se résume en sa fin, et il en coûte d’arriver jusque là. Toutefois, il se doit dire que si vous y arrivez, elle vous arrachera un sourire.
Ce sourire peut être, avec tout ce qu’il implique et ce dont il provient, vaut peut être le déplacement, et qui sait, peut être que vous y trouverez une autre forme de beauté qui me serait étrangère.
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3- A perdre la raison
CAP: Belgique
« Tekber w tensa » *, me disait un ami en sortant de ce film. Rien ne pouvait mieux décrire ce film. Traumatisant, voilà le terme. Alors que le nœud arrivait à son paroxysme, que la lumière au bout du tunnel commençait à apparaître, que l’on sentait que la délivrance était proche: une trappe s’ouvre sous vos pieds, et vous tombez dans une nauséabonde fosse. Quelques uns en auront des cauchemars, d’autres plaindront deux heures gâchées de leur vie. Il n’y a de beau dans ce film, plat comme la mort, que le charme de la belle Murielle, aussi innocente et frêle qu’une enfant, peut être aussi l’amour qu’elle partage avec Mounir, l’amour en ses débuts, fugace, heureux et plein de rêves, d’illusions. Effectivement, ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants, mais cela s’arrête là. Ils ne vécurent pas heureux jusqu’à la fin des temps. Voyez-vous, en toute chose, combien noble que soit-elle, il faut de la mesure. L’excès a cela de malsain qu’il pervertit tout, même le plus beau des sentiments. Tolstoi, dans Anna Karénine, disait que « Toute la variété, tout le charme, toute la beauté de la vie ne sont qu’un mélange de lumière et d’ombre ». Dès lors, la règle de la modération doit être souveraine en tout. Il faut aimer, certes, mais il faut aussi laisser de l’espace, car un climat affectif à la lie devient irrespirable.
Le docteur Pinget, père adoptif de Mounir, est le visage de l’Autre de Sartre. Il prend le couple à sa charge et œuvre sans relâche, avec le plus d’amour et d’abnégation possibles, pour combler leurs moindres désirs, sans rien demander en retour si ce n’est d’exister auprès d’eux. Mais justement, il existe trop, auprès d’eux et ne leur laisse pas de marge, à leur en faire perdre la raison. Même un prisonnier a besoin d’espace vital dans sa cellule. Leur prison, c’est sa bourse et sa bonté qu’il ne ménage pas pour eux et leur progéniture.
C’est une morale, cela est indéniable, mais elle est véhiculée aussi atrocement que cela se puisse faire. De plus, on y remarque une pinte d’insulte envers l’immigré, ce parasite ne cherchant qu’à se marier pour des papiers et qui n’apporte rien de pratique sauf un amour passif, et dont l’effet culturel est meurtrier. La marocanisation de Murielle par la djellaba qu’elle portera jusqu’à sa perte est trop signifiante pour être anodine et sauve d’insinuations: L’immigré est perçu comme le lest qui tire le tout vers le bas et sème malheur et désarroi là ou il va. Il n’est pas le diable, il est son petit fils. Il a de bonnes intentions, mais son origine le condamne au delà de sa volonté. Ce tiraillement, entre une Belgique précaire et le Maroc, Paradis perdu, envenimera la vie d’une Murielle étouffée par le docteur, trop omnipotent et omniprésent.

Au final, l’aspect « true story » du script n’aura pas eu l’effet escompté, et ne fera qu’horripiler d’avantage un public déçu par un film morne, comme quoi certaines vérités valent mieux tues que dites, leur cru étant plus choquant que révélateur.
En somme, A perdre la raison, est un film auquel on devrait ajouter la mention: « Âmes sensibles s’abstenir » .
Bande Annonce:
http://www.youtube.com/watch?v=uxRVlMkIQtE
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* Tekber w tensa : tu grandiras et tu oublieras.
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4- Amour
CAP: Autriche
Il y a quelque chose de fractal dans « Amour », on y décrit une émotion intense et cette émotion se ressent et se transmet au public. A un certain moment, Georges, le mari, parle d’un film qui l’a fait pleurer et c’est justement des larmes que vous risquez de verser, tant grand est l’émoi que le film infère. Il porte bien son nom, puisqu’il s’en veut faire la définition, de cet amour à la fois « saint graal » et tâche indélébile. Celui-ci s’inscrit dans la durée, dans le meilleur mais surtout dans le pire, quand des cieux trop peu cléments en malmènent l’existence et le mettent à l’épreuve.
Anna et Georges sont deux époux octogénaires qu’un monde individualiste a relégué à l’indépendance, à l’auto-suffisance. Vivant dans un état d’osmose à leurs vieux jours, leur amour a toute la force de l’âge et le pétillant d’une jeune flamme. Ils ont, à priori, l’un pour l’autre tous les égards, toutes les attentions que l’on porte à une nouvelle conquête et cherchent encore à se séduire, à 80 ans et plus. Seulement, pour l’œil expert, cette passion est quelque peu teintée, souillée par trop de politesse, surtout de la part de Anne. Comprenez bien que je ne prends nullement position pour ma gent, mais il se remarque chez les acteurs en général et chez Anne en particulier, un ton affecté qui donne à questionnement: Est-ce intentionnel, pour dépeindre des sentiments à l’apparence forts mais qui ne sont qu’un tissu de convenances ? Est-ce là juste un piètre doublage, enlevant son naturel à la diction des acteurs, ou les autrichiens ne parlent-ils tout simplement pas un français correct ? Va savoir.
Outre cet amalgame entre politesse et affection sincère, Amour recèle de nuances, d’insinuations secrètes: le pigeon, symbole de paix, que Georges poursuit mais n’arrive que fatalement à attraper et qu’il relâche aussitôt, n’est autre que l’image de la sérénité qui ne vous rend visite que rarement. Vous l’avez, un instant et elle disparaît le suivant, dissipée par votre propre main. Les portes de la maison que le couple habite sont toujours closes et closes sont les relations qu’entretient la famille en son sein, par ce monde matérialiste et marginalisant. On a habité le même toit, mais on est devenus des étrangers et notre filiation n’est plus que coutumière, une nécessité et non un désir. La fille, comme il est courant par ces temps modernes, a livré le couple, ce poids mort, à lui-même. Seul l’acharnement de Georges au chevet d’Anne compromet cet aspect d’isolement dans la proximité, puisque ses actes corroborent sa passion.
Quand il parle de sa diphtérie qui lui avait valu la quarantaine, Georges symbolise en même temps le divorce perpétuel entre le sentiment éprouvé et son expression gauche, et la détresse du souffrant à faire comprendre son chagrin et son mal: un petit clin d’œil au film/nouvelle « le scaphandre et le papillon ».
Amour peut ennuyer le quidam non désireux d’introspection et de réfléchir le monde et ses choses et peut être que cela vaut mieux de ne pas le penser, ce monde. Mais pour les autres, Amour est une projection de soi, pour les jeunes, dans un futur pas si lointain que ça, vers leur propre vieillesse. C’est un rappel à l’ordre pour les ingrats auxquels les vicissitudes de la vie font oublier leur priorités et qui rejettent leurs géniteurs, au mieux, vers les maisons de retraites, telle la plus vile des substances, périmée et à l’échéance expirée. Ainsi, il se devrait peut être ajouter une barrière d’âge, en dessus de laquelle il se devrait éviter de voir ce film, parce que remuant peut être, inexorablement, des couteaux dans des plaies fraiches.
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5- La part des anges
CAP : Grande Bretagne
Du rire, enfin! Le cœur commençait à en grossir, de ce trop plein de chagrin et de morale. C’est bien de défrayer la chronique en évitant les insipides fins heureuses, mais à trop ce faire, on finit par déprimer le spectateur, qui a besoin de sa dose de rêve et d’illusions. La séance s’est déroulée dans la liesse générale, avec des excès de fou-rire de temps à autre, surtout lors des incartades d’Albert, le fol illuminé de la bande.
Robbie est un voyou, il a la haine, envers tout et rien. Sa vie est teintée de violence et du mépris de tous. Mais Robbie est amoureux, et de son amour il reçoit un enfant, qui lui incombe de couper avec son existence antérieure et ses enchevêtrements dans lesquels il pataugeait. L’amour est donc ainsi conçu dans son aspect réformateur, comme le moteur de la rédemption. Il a le don d’astreindre les volontés à ses désirs, de sanctifier le diable et adoucir le forcené. La condition de Robbie lui fera purger des peines aux pénitenciers, et le fera forçat des travaux d’intérêt général en guise de réprobation. Dans ce dernier, il rencontrera son mentor, Harry, qui lui donnera une chance et croira en lui alors que tous le toisaient de leurs hauteurs imaginaires, et lui vouaient un échec certain. Auprès d’Harry, Robbie découvrira le talent insoupçonné qui le sauvera.
Comme il se traite de Whisky et de dégustation, La part des anges trinque à la santé des deuxièmes chances, des mains inconnues mais salvatrices qui se tendent et secourent les naufragés. Il restaure, de manière ludique, la foi en l’humanité et la subsistance du bien ici-bas.