Le 8 mars, fête de la femme, m’a toujours paru comme la plus grande aberration qui soit. Fêter la femme pour lui reconnaître son égalité avec l’homme est la plus sexiste des attitudes. C’est admettre, quelque part, qu’elle ne l’est pas encore. Tout le pompeux de cette consécration, toutes les fleurs, toutes les affiches, tous les messages sont pour moi la preuve irréfutable que cette égalité n’est qu’apparente, une sorte de compensation pour un tort qu’on sait causer. Asseoir cette égalité, ce serait abolir cette fête, n’avoir plus besoin de sortir de la norme pour en créer tout un évènement. Cela signifierait qu’elle n’est plus remise en question, que c’est désormais une trivialité. Et si l’on veut maintenir le maquillage qu’on lui donne en la faisant passer pour un geste de reconnaissance pour les efforts fournis, fêtons aussi l’homme, Dieu sait qu’il fournit des efforts aussi, et Dieu sait combien il en est avide, de cette reconnaissance.
En science, quand on veut examiner un sujet, un phénomène, quoi que ce soit, on commence par l’observer dans des conditions ‘‘normales’’, dans un environnement dont les éléments ne présentent aucune anomalie. Pour reporter cela sur la société, ceci correspondrait à un état où l’existence des citoyens serait régie par des lois applicables invariablement à tous et sans dérogations, où les libertés seraient garanties, dans le respect de celles d’autrui, où une logique éthico-pratique façonne les lois et gouverne les agissements sociaux et les mentalités. En d’autres termes, ce que nous autres marocains aimons à appeler ‘‘lkharij’’ ou ‘‘blad nnsara ’’. Comme je ne partage pas plusieurs des valeurs occidentales, et que j’abhorre la singerie aveugle sans adaptation, disons que c’est le plus près dont on dispose qui soit ‘‘normal’’, que l’on puisse concevoir comme une ‘‘référence’’. C’est dans cet esprit que j’ai énoncé le premier paragraphe, en parlant d’eux, par ce que j’ai l’intime conviction que ce qui se fait de pareil chez nous n’est que le relent de l’habitude imitative que nous avons développée, au mieux un pseudo-ingénieux coup de marketing.
Après l’étude du fonctionnement optimal, on passe aux cas particuliers, aux ‘‘anomalies’’, et c’est là que nous entrons en jeu. Dans nos contrées, où la tradition est si pérenne, si rigide qu’elle ne souffre pas le besoin de s’adapter sans se renier complétement, où, à défaut d’une éducation proprement dite, les mentalités ont tellement stagné que l’on a la quasi-certitude qu’elles n’évolueront jamais sinon que leur changement prendra des siècles, il faut avouer qu’il ne fait pas bon être femme.
Professionnellement, je n’ai pas encore intégré le monde du travail, et par conséquent je ne saurais m’exprimer quant au traitement qu’on lui réserve. Mais je sais qu’on réclame encore un quota de femmes dans le gouvernement, indépendamment du mérite et de l’expérience. J’en déduis que cela ne doit pas être fameux, parce que le sentiment d’égalité comme un acquis relèguerait le sexe des critères de choix et érigerait la méritocratie comme unique gouvernail. Je sais aussi que l’on préfère allouer des jobs de chantier aux mâles et des jobs de bureau aux femelles. J’en déduis que le monde professionnel au Maroc n’est pas si professionnel que ça.
Socialement, j’ai vécu parmi les marocains, et je sais combien ils sont injustes envers la femme.
Cela est aussi injuste qu’illogique, quand l’homme, la société exige l’absolue virginité de la future femme, lui défend et aux sœurs tout comportement suspicieux, alors qu’on permet à l’homme les dévergondages les plus pervers avec les sœurs et futures (au mieux) femmes d’autrui. Cela est injuste quand on considère la femme comme un être ‘‘kholi9a liyatazawwaj’’, comme si tout le cheminement de son existence devait l’amener à cet instant précis où on lui passe la bague à la main. Si je soutiens qu’il est des caractères inhérents à la création de l’être humain qui le font éventuellement converger vers une forme d’existence en union, traditionnellement le mariage, j’estime que ce ne doit pas être pas être une fin, plutôt un aboutissement. Quand cela est une fin, alors commence le théâtre, chez les deux futurs partenaires, et personne n’est aussi artiste ni n’a autant d’abnégation pour maintenir à jamais la symbiose entre lui et son personnage, entre ce qu’il est et ce comment il voudrait être vu, mais la déontologie du mariage est un autre débat, trop complexe pour s’immiscer ici. De même, quand celui-ci prend fin, prématurément ou après avoir été consommé, la société blâme immanquablement la femme à priori. Si ses fiançailles n’aboutissent pas, il y’a quelque chose qui cloche chez elle. Ces dernières sont ainsi une sorte de période d’essai à sens unique, ce qui annihile l’essence même de cette pratique. Si elle divorce, elle a rendu impossible la vie commune à son mari, et on la fuit comme la peste quand on songe à se marier. Autant de préjugés prêts à croire que l’on assume vrais sans une once de questionnement.
Sur un autre front, immoler l’existence féminine sur l’autel du mariage est aussi un grand gâchis. Lui sacrifier, en plus des sommes colossales déversées par l’Etat, des années d’étude et de dur labeur, de nuits blanches et de stress est tellement abject que, s’il se doit faire, ce doit être un choix éclairé au moins, et non la coercition d’une société qui juge ou la dictature du mâle et des mentalités qui peinent à changer. Le travail dans le public, reposoir chéri des marocains, est un palliatif certes, mais le pays ne progressera pas par le seul biais des institutrices (saint graal des marocains à ce qu’il paraît) et de fonctionnaires improductifs. Aussi, l’éducation des enfants, excuse classique donnée pour ce genre d’injonctions, incombe au couple en tout et non à la mère seule. Il faudrait aussi s’exercer à bannir le harcèlement sexuel ou le comportement sexiste de nos bureaux plutôt que d’en bannir la femme carrément. Il s’agit de trouver des compromis, parce que le système archaïque ou la femme est synonyme de foyer et l’homme de pain est d’un temps révolu auquel il n’est ni possible ni salutaire de s’attacher plus longtemps. La balance des sexes au Maroc ne permet du tout pas qu’une partie travaille pour tous et nous ne pouvons pas nous offrir le luxe d’être l’exception au régime mondial. De plus, exister est devenu si complexe et si coûteux qu’il est impératif de s’atteler à deux pour survivre dans ce monde capitaliste.
Si la condition féminine fait apparaître l’homme marocain sous un jour de puissance et de grandeur, il n’en demeure pas moins lésé par cet état des choses. J’aime à pense qu’émanciper la femme libérerait l’homme. Dans ce scénario, il est souvent réduit à une cible qui doit en surplus être digne de la flèche qu’on lui lance. En 2013, le fameux ‘‘ mon argent est mien et ton argent est mien ’’ sévit encore dans plusieurs couples au Maroc, et l’homme se définit encore strictement par sa bourse. Une femme indépendante pour qui le mariage a une importance reléguée au deuxième rang en faveur d’une vie épanouie le jaugerait sur ses qualités humaines plutôt que le modèle de sa voiture, il ne souffrirait pas l’immense frustration de convoiter une conjointe sans pouvoir espérer la conquérir – aurait- il même son consentement – parce que son père n’était pas riche ou qu’il n’a pas de préfixe de noblesse attaché à son nom. Une femme qui travaille est une femme capable de s’assumer, libre du joug de quiconque voudrait dicter ses agissements au-delà de son propre vouloir.
A ceci près qu’il ne se saurait généraliser ces constats, j’estime qu’il demeure au Maroc une grande proportion de femmes lésées par le comportement biaisé de la société, du moins assez pour jusitfier cet article. Asseoir l’égalité, égalité face au ménage, égalité face à la législation, égalité face au travail entre hommes et femmes entraînerait des rapports plus sains et surtout plus rationnels entre les deux. Voudraient-il progresser, humainement, socialement et même économiquement, les marocains devraient quitter cette manie médiévale de considérer la femme comme le sbire du Mal, un citoyen de second degré qu’il faut dompter, lui restituer la valeur qui lui a été donnée par son Créateur.