De l’incivisme au Maroc


Pourquoi le civisme, d’abord ? Telle est la question. Toute chose est, par essence, condamnée par les aléas de ceci qui la précède, la justifie. Pourquoi choisir le civisme quand, de premier abord, celui-ci s’oppose à nos intérêts immédiats ? Pourquoi s’encombrer plus longtemps de ce morceau de papier, pourquoi respecter la queue, pourquoi se garer plus loin quand la zone bleue est parfaitement viable ? A l’échelle de l’individu, le civisme est absurde. Celui-ci n’a de sens qu’au pluriel, corrélé à la notion de société, du vivre commun,et du temps. Avant donc de nous demander si nous sommes civilisés, occupons nous d’abord de savoir si nous avons la possibilité de l’être, si l’environnement propice est là :

Vivre commun : Maroco maroconi lupus

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Décortiquons déjà le civisme. Il dérive du latin civis, celui qui a droit de cité, le citoyen. Sommes nous donc des citoyens,  une société, ou juste une agglomération, un ramassis d’individus que le hasard a réunis dans un lieu commun ? Une société se définit par la nature des liens qui se tissent entre ses membres. Au Maroc, force est de constater que ceux-ci sont loin d’être bons. Pensez à combien de fois, vous, aujourd’hui, marocain lambda, vous êtes plaint des marocains et les avez traités de tous les noms. Il est un mal vivre alarmant de la marocanité.   C’est que le marocain se hait, en tant que marocain. Il n’a d’estime que pour son entourage immédiat, son clan. Dès le plus jeune âge, nous sommes élevés à coup de « fais attention »,  »les marocains sont difficiles »,  »méfies toi de tous »,  »ne fais confiance à personne » et j’en passe, autant de codes de conduite qui dessinent le pourtour d’un Maroc jungle plutôt qu’un Maroc société. Dans un pays d’Islam, dérivé de  »Silm » ou paix, nous manquons cruellement de paix interne.
Nous nous offrons la paix à chaque Salamalek de coutume, mais nos actions vident ce salut de tout son sens. On grandit et se confirment les oraisons parentales, on vole le cartable à la moindre inattention, l’enseignant oblige à faire des heures sup’, l’épicier vend du pain d’hier, on tue à la tâche pour un salaire de nègre, le garagiste rend la voiture, triturée à l’origine par une clé, des pièces en moins et 1000 km en plus au compteur…Hormis l’énorme stress que ceci génère, il est difficile d’aimer son prochain quand, à la moindre baisse de garde, « personne ne vous rate » …

Pour un début de civisme, il faudrait d’abord réconcilier le marocain avec le marocain, le convaincre qu’il a une valeur intrinsèque acquise ab ovo, égale à tout autre citoyen de ce monde, du moins dans son esprit et celui de ses dirigeants.

La loi: La pomme et, à défaut, le bâton

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Le marocain manque aussi cruellement d’auto-critique. En toutes circonstances, il est convaincu qu’il est dans le vrai.  Ceci n’est pas vraiment spécifique au marocain per se, l’humain est égocentrique par essence, mais il y’a quand même un iota en plus chez nous,  d’ou la nécessité d’une norme indépendante: la loi. Et c’est là que le bât blesse:  le marocain ne compare que très peu son jugement à la loi, parce que celle ci n’est pas souveraine, qu’elle est presque accessoire. Elle dépend, dans le psyché commun, et exemples à l’appui, de qui vous êtes, ce que vous avez… Tout délit a un prix, un nom, un poste, une devise…que tous n’ont pas. Difficile de faire respecter la loi sans ce sentiment d’égalité devant elle : la loi, idéalement, n’a pas la vocation de punir, mais plutôt d’instaurer un esprit d’harmonie, auquel la conviction d’égalité est nécessaire. Comme disait John Rawls, ‘‘La justice est la vertu absolument première des Institutions sociales’‘. Sans elle, on ne peut vraisemblablement pas parler de cohésion sociale, de société. Il s’en faut de la notion, Ô combien urgente, du voile d’ignorance, selon lequel les lois sont – par hypothèse-  décrétées et sévissent dans l’ignorance parfaite du statut de ceux qui les éditent et ceux qui les subiront, de manière à garantir leur impartialité, en théorie et en pratique. Dans l’impossibilité avérée de faire valoir la loi par la force partout, à tout moment, et en toutes circonstances,  il faut que chacun soit, quelque part, son propre policier, que chacun agisse selon une conscience commune bienveillante.

Le dialogue : de la discussion jaillit la lumière

 

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Car avant d’instaurer des lois et les imposer, il faut convaincre, et surtout comprendre; comprendre pourquoi l’on pense ceci et fait cela. Asséner des lois inadéquates auxquelles les citoyens n’adhèrent pas, c’est multiplier les subterfuges et décrédibiliser les lois et tout l’appareil de justice. Seulement, force est de constater, qu’en matière de dialogue social, nous sommes encore des jeunots inexpérimentés. Il faut dire qu’avant Facebook et compagnie, nous ne débattions pas vraiment, comme peuple. Nos échanges étaient limités aux commérages des cafés ou assénés, verticalement, via les médias officiels, propagandistes car sinon goulagistes ou mendiants. C’est la première fois que des personnes de différents azimuts conversent, de manière un tant soit peu égale et libre. Par la démocratisation de l’accès à internet, chacun à droit à la parole et le droit d’être entendu, ou presque. La censure sévit toujours, mais il n’en est pas question ici. Le premier hic, parlant de civisme et s’agissant des réseaux sociaux, c’est le civisme de vitrine auquel nous excellons toujours. On prône sur Facebook&co le respect du passage clouté quand on est piéton et, conducteur, on accélère à son approche. Les exemples ne manquent pas; à ceci près que l’on se demande si ce sont là les mêmes personnes, virtuelles et physiques. Les réseaux sociaux carburent à l’ego, et il est agréable de penser que l’on a atteint un seuil civilisationnel dans lequel, déjà, on associe « civilisé » à  »beau » et  »bien ». Encore faut-il traduire cela en actions. Le deuxième hic, c’est ce dialogue des sourds auquel on assiste. On a dit que la discussion a été démocratisée, mais les clans n’en ont pas pour autant été dissous. Ils se sont agrandis, en nombre. Les cafés sont devenus virtuels, et sont assis à la table tout ceux que votre  »reach » permet, potentiellement tout internet. Les clans, désormais, c’est la pseudo  »élite » bien pensante, s’exprimant en franglais, médium hybride doublement séparateur, VS la  » plèbe », les  »bouzebbal » réceptacle des leçons de ceux-ci, et dont on ignore l’identité exacte, faute de convivance virtuelle et linguistique. Oh comme beau serait un Maroc dans lequel, dans le psyché commun, le « bouzebbal » serait celui qui ne respecterait pas la queue ou garerait son bolide sur deux positions, qu’on absolve ce terme outre ceci de toute considération d’argent ou de statut social, qu’il soit purement comportemental.

Education:  Encore et toujours…

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En parlera-t-on jamais assez ? Sans éducation, nous ne sommes pas bien loin de l’animal, asservis à nos instincts primitifs et peu soucieux de ceci qui n’est pas notre survie et notre clan. L’éducation est primordiale par ceci qu’elle intervient dès le jeune âge et occupe le plus clair du temps des énergumènes, alors que se construit le cogito,  se forment les personnalités et se gravent les habitudes des futurs citoyens. Ce qu’elle confère , hormis l’apprentissage des préceptes de la conduite en société par les cours d’éducation civique, c’est cette faculté de se projeter dans le futur, de s’élever par dessus tout le mesquin du quotidien, de l’immédiat,  et imaginer ce que serait une société où chacun respecterait son prochain et agirait selon des règles et non dans l’anarchie totale. On serait conscients qu’un Maroc meilleur pour et par ses citoyens est possible, que le  »tcha malna f swid »* n’est pas un argument valable et que l’européen, citoyen modèle, n’est ni insufflé d’angélité ni n’a de sang bleu dans les veines: il est mieux éduqué et a des lois qu’il respecte. Point. Antoine de Saint-Exupéry disait  « Si tu veux construire un bateau, ne rassemble pas tes hommes et femmes pour leur donner des ordres, pour expliquer chaque détail, pour leur dire où trouver chaque chose… Si tu veux construire un bateau, fais naître dans le cœur de tes hommes et femmes le désir de la mer. » La conscience acquise de ce fait pousse l’individu à repenser ses agissements, et sème les bourgeons de l’abnégation, d’un semblant de sacrifice du confort immédiat, nécessaires à un comportement civique et dans la poursuite d’un bien être général dont on récolterait les fruits à posteriori, ainsi que sa progéniture, surtout sa progéniture, car elle seule est susceptible de motiver; à bon escient, un citoyen par ailleurs blasé, cynique et indifférent…

La religion : Le meilleur moteur possible…

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A priori, rien n’oppose civisme et religion. Au contraire, les deux vont de pair avec l’amour de son prochain et l’instauration de règles favorisant la coexistence paisible et fructueuse. Seulement, au Maroc, il semble que nous ayons une version  »aseptisée » de la religion. L’imam ne se rabaisse pas ou peu pour vous parler de feu rouge ou de passage piéton. Officialisée par la langue arabe dominant le dialogue, une distance s’entremet d’emblée entre prêcheurs et disciples, car peu sont ceux qui parlent arabe dans leur quotidien ! Il ne s’agit pas de remettre en question l’arabe en tout. C’est LA langue du Coran, mais peut être faut-il y ajouter un zeste de darija, de soussia, de chelha*… pour plus de proximité et de compréhension. Aussi, si les ‘petits gestes’ inciviques de tous les jours étaient  »élevés » au rang de péchés, peut être que l’on s’en retiendrait. Encore faut-il dira-t-on, et à l’instar du civisme virtuel, que cette religion, elle même, soit sauve de l’effet vitrine, que paroles et actions soient en parfaite symbiose.

Cette guerre du civisme – contre soi d’abord-, il faut la mener, et d’urgence. Nos armes dans cette guerre : Education, loi et dialogue…peut être aussi la religion. Après tout, il faut mettre toutes les chances de son côté, et la fin justifie parfois les moyens.  Le butin de cette guerre  transcende le plaisant du vivre commun vers de plus grands enjeux. Il en va des destins des pays. La banque mondiale, dans son dernier rapport sur l’état de l’économie marocaine de 2017, stipulait que parmi les freins majeurs à l’essor de l’économie marocaine, est ce peu de confiance entre les citoyens, ce désordre et cette mauvaise foi qui créent moult entraves et empêchent des interactions et transactions fluides inter-individus et inter-entreprises, dissuadant les investissements et ralentissant la machine.

*tcha malna f swid »* littéralement sommes nous donc en Suède ?

*darija, de soussia, de chelha* : dialectes parlés au Maroc

 

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